Les Banou Ziyan y bâtirent des châteaux aux décors magnifiques et de très belles maisons ;
ils érigèrent des jardins et des vergers à travers lesquels ils firent circuler des cours d’eau, ce qui permit à Tlemcen de devenir la plus importante métropole du Maghreb. Les gens y venaient la
visiter depuis les pays les plus lointains. Ainsi, les différents domaines des sciences et des industries se multiplièrent très vite, les savants y émergèrent et les sommités y devinrent
très célèbres. Tout cela lui donna accès à concourir avec les grandes villes des autres pays islamiques ainsi qu’avec les bases califales ». Ibn Khaldoun.
— Regard historique sur la naissance et l’évolution de Tlemcen :
Dans l’antiquité Tlemcen fut un site qui porta les noms d’Agadir et Pomaria. Pomaria-Agadir, constitue le premier chapitre de l’histoire de Tlemcen. Elle s’étendait à l’Est de la ville actuelle et constitua un poste avancé de la pénétration romaine en Afrique du Nord. Les vestiges de la ville antique sont rares et ne donnent pas un cacher particulier à cette partie de la ville. Le bas d’un vieux rempart, quelques pierres gisant ça et là ou réemployées dans des constructions (en particulier pour le Minaret d’Agadir), sont tout ce qui subsiste des demeures et des monuments dont elle fut alors parée.
La ville de Tlemcen jouit d’un passé historique d’importance plurielle. Son emplacement géographique merveilleux et
son statut politique, étant, dans les temps anciens, la capitale du Maghreb central (Algérie) sont à l’origine de la pluralité de cette importance historique.
D’un point de vue linguistique, la ville de Tlemcen forge son nom d’un vocable composé de deux lexies berbères qui
sont « tilem » qui veut dire rassembler, réunir, et « cèn » signifiant le duel, ou le nombre deux. Ainsi, ce nom signifie la réunion de deux natures différentes, à savoir les
deux composantes géographiques de cette ville qui sont : le Tell et le Sahara. En d’autres termes, le nom « Tlemcen » veut dire la ville qui réunit entre deux reliefs et deux
climats différents, celui du Tell et celui du Sahara.
Les historiens, At-Tabari, Ibn Khaldoun, et Ibn Ar-Raqîq, notent que l’origine de cette ville remonte aux temps de la tribu berbère Zenata, qui résidait dans cette région ainsi que dans les régions avoisinantes.
Après les Zenata, la ville de Tlemcen fut gouvernée successivement par plusieurs dynasties et régimes. Au début ce
fut Idriss el Akbar qui y régna depuis son siège au Maghreb extrême. Celui-ci put créer des liens d’alliance avec le Zénète, l’émir Mohammed Ibn Khazer, qui amena ses sujets à faire acte
d’obéissance à Idriss. De fait la première action de celui-ci fut de construire une mosquée dont le minaret actuel marque la place. Puis Idriss confia la garde de la ville à son frère Souleyman.
Ainsi, pendant tout le 9ème siècle G., Agadir demeura une place forte dépendante des Idrissides. Le prestige religieux de cette dynastie fit de la ville un centre de diffusion de l’influence
religieuse à travers les campagnes du Maghreb central.
Ensuite vinrent, après les Idrissides, d’autres dynasties dont les plus importantes furent les fatimides, les
Almoravides, les Almohades et les Ziyanides. Puis depuis la disparition du règne des Banou Zayan, au début du 16ème s., Tlemcen devint une cible incontournable pour les conquérants espagnols, qui
la prirent d’assaut après maintes tentatives et saccagèrent ses bases et sites de défenses. Et après les Espagnols vint enfin le tour de l’envahisseur français, qui l’assomma sauvagement et sans
merci (ainsi que les autres villes d’Algérie) pendant plus d’un siècle et trente deux ans 1.
Notons que le règne des dynasties musulmanes s’est étendu à travers plusieurs siècles, à compter du 1er jusqu’à la
fin du 10ème siècle de l’hégire (soit du 7ème au 16ème s. grégorien) suite à la destitution de l’émir Ziyanide El Hassan Abou Abdillah par le Turc Saleh Rays, à cause du penchant de l’émir pour
les Espagnols.
— L’essor des sciences et de la civilisation à Tlemcen :
Depuis l’ère islamique médiane, plus exactement dès le huitième siècle hégirien, la ville de Tlemcen devint le site d’une vie intellectuelle très poussée. Celle-ci s’interprétait par l’émersion d’un mouvement grandiose des diverses sciences et connaissances islamiques 2, dont les effets se répandirent et se prolongèrent jusqu’à atteindre les plus grandes métropoles et capitales des deux parties occidentale et orientale du monde musulman.
Les raisons de l’essor scientifique et religieux de cette ville, à cette époque, reviennent à plusieurs facteurs
parmi lesquels figurent les suivants :
1- Sa localisation entre l’Orient et l’Occident andalous, et au nord s’étend son espace du Tell, alors que le sud s’ouvre sur le Sahara. Ce positionnement géographique forme une superbe toile naturelle ; un point d’attraction qui favorisa les relations avec le monde extérieur.
2- Se situant au milieu de ce vaste espace regroupant le Tell et le Sahara, cette ville constitue un carrefour
routier des caravanes commerciales qui y circulaient. Ce qui fit d’elle un trait d’union humain efficace pour l’échange des connaissances et des expériences de toutes sortes.
3- La ville de Tlemcen fut aussi, et surtout, un foyer et une zone de passage des érudits, penseurs, hommes de
lettres et chercheurs de la connaissance et du savoir. Ainsi, nombreux sont ceux qui, des deux pôles du monde islamique, occidental et oriental, venaient pour soit enseigner soit étudier dans ses
mosquées et ses écoles.
4- Elle fut également un point de passage des groupes de hadjis (pèlerins) qui partent pour accomplir le hadj,
visiter la Maison sacrée d’Allâh -qu’Il soit Très-Haut- et la mosquée de Son Prophète ; de même que pour rendre visite aux illustres savants qui se trouvaient dans ces terres-saintes, et
d’y assister à leurs cercles de science et de prêche.
Cela étant, grâce à son emplacement stratégique et aux nombreux foyers de science, écoles et mosquées, Tlemcen put
attirer un nombre impressionnant, qu’on ne peut pratiquement délimiter, des géants de la pensée, de la littérature, de la culture et de la connaissance au sens large du terme avec ses diverses et
variées filiales : islamique, linguistique, historique, littéraire et autres.
Mais durant l’époque almohade particulièrement, la ville de Tlemcen eut des activités civilisatrices très
florissantes. Car juste après la chute de l’État almoravide, Tlemcen fut prise par Abd El Moumen Ibn Ali en l’an 540 H. /1145 G. Ce dernier, après les dégâts occasionnés par sa conquête,
entreprit de vastes réformes dans la ville. Il répara ce qu’il détruisit et engagea de grands plans de construction en faisant même venir des constructeurs et des spécialistes de l’édification
des régions lointaines. Ainsi, on rétablit tout ce qui fut démoli, on édifia des forteresses et des châteaux, des mosquées, des maisons, des marchés ; de plus que les murailles de la ville
furent rétablies et consolidées.
Pendant le règne des Almohades, trois grandes familles zénètes virent le jour : les Banou Abd El Wed, les
Banou Toudjine, et les Banou Rached. Précisons que la première famille sera plus tard la famille gouvernante, une fois l’État des Ziyanides (qui sont les descendants des Banou Abd El Wed)
insaturé, tel que nous le verrons à la fin de cet article.
Après les travaux d’édification et de fortification des bases et arrières de la ville par l’État Almohade, Tlemcen
devint, tel que l’enregistre l’historien Ibn Khaldoun, le bastion le plus puissant dans tout le Maghreb et la métropole la plus solide, ce qui motiva les gens à venir de toute part pour s’y
réfugier et tirer profit de son développement et de sa civilisation. D’autant plus que cet état d’épanouissement a été une occasion prospère pour les Banou Abd El Wed pour y demeurer et la
désigner comme capitale de royaume depuis la moitié du 13ème s. grégorien.
— Les ruines islamiques de la ville de Tlemcen :
La ville de Tlemcen possède plusieurs ruines historiques qui remontent aux différentes époques islamiques ; elles témoignent de la prospérité de cette ville et de son niveau de civilisation et d’épanouissement scientifique et intellectuel. Cependant, les plus importantes ruines en dehors des mosquées et de la forteresse El Mechwar, sont celles de la ville d’el Mansourah.
Il s’agit d’une cité quasiment militaire, érigée par le sultan mérinide Abou Yacoûb au 7ème s. de l’hégire, suite à
une expédition militaire qu’il envoya contre Tlemcen depuis le Maroc. Ledit sultan, après maintes vaines tentatives pour assiéger la ville, ordonna de construire un important camp militaire afin
de renforcer un blocus qu’il avait déjà engagé contre elle, et pour que ce camp soit aussi une base de vie pour l’effectif de son armée.
Ainsi, en 698 H. /1299 G. ce sultan envoya un bataillon impétueux qui campa près de la ville de Tlemcen et
l’encercla sévèrement pendant plus de huit ans. C’est durant cette période que la ville El Mansourah fut construite, on a prétendu à faire de son nom un signe de bon augure, car il signifie la
victoire, le succès, la réussite, le triomphe, etc., ce qui donna à la ville d’El Mansourah le sens de : « la ville victorieuse ». Mais chose aucune n’en n’était !
En effet, la ville de Tlemcen, en dépit du très long blocus et des harcèlements et attaques, demeura infaillible et
résistible. Quant à El Mansourah, elle finit par succomber à la résistance chevaleresque de Tlemcen, et fut réduite à des débris et vestiges desquels on devrait tirer des leçons de morale à plus
d’un titre.
— Tlemcen capitale du royaume des Banou Ziyan :
Après l’écroulement de l’État Almohade, trois dynasties prirent place : la dynastie hafside en Tunisie, la dynastie mérinide au Maroc, et la dynastie des Banou Abd El Wed, ou Banou Ziyan, dans le Maghreb central (l’actuelle Algérie). Tlemcen est alors élevée au rang de ville royale.
Les Banou Abd El Wed étaient des nomades de la tribu Zenata, que les Almohades avaient employés à tenir la région
de Tlemcen. L’affaiblissement du pouvoir de la dynastie leur donna de plus en plus d’importance. Ils conservaient la ville aux Almohades en la défendant contre les Banou Ghanya (ralliés aux
Hafsides de Tunisie), qui avaient failli s’en emparer. De ce fait, le calife Almohade manifeste au chef des Abd El Wedides sa satisfaction par l’envoi d’un diplôme, qui le constituait gouverneur
de Tlemcen et de tout le pays Zenata ; charge qui jusqu’alors avait été confiée aux seuls princes de sang royal. Ainsi s’exprime Ibn Khaldoun qui date de 1227 G. cette époque de la vie de la
cité. Une quarantaine d’années après, l’écroulement de la souveraineté Almohade faisait du gouverneur de la province, le seul maître de la région.
Le royaume de Tlemcen ne se constitua pas sans difficulté car il eut à lutter contre la double prétention des
Hafsides de Tunisie et des Mérinides du Maroc. À ses débuts, la dynastie fut protégée et développée par son grand fondateur Yaghmorassen. Un personnage austère et fier, qui se dévoua sans fard au
service de la capitale dont il avait possession. Son long règne, d’une quarantaine d’années, contribua grandement à assurer la stabilité du royaume ziyanide. Malheureusement, la vie de ce
gouverneur chevaleresque reste encore méconnue des générations montantes.
Il légua à son fils Outhmên un pouvoir plus fort : il fit reconnaître sa domination sur les tribus du Maghreb
central, il eut des alliés et des tributaires. Il donna à sa capitale la prospérité économique et le rayonnement intellectuel et religieux. Cependant, la ville n’était pas à l’abri de tout péril.
Les Hafsides et les Mérinides attendaient toujours l’occasion de s’en emparer. Chaque année au retour de la belle saison, on pouvait craindre de voir les troupes mérinides déboucher dans la
plaine. L’appareil défensif de la ville ne put être réduit que par un long siège bloquant le ravitaillement de la ville. Tlemcen ne put échapper à cette épreuve : ce fut une expérience très
douloureuse pour ses habitants. Elle dura huit années et trois mois tel que l’affirme Ibn Khaldoun, mais elle finit par se dénouer quoique ce dénouement ne dura pas longtemps. Les Banou Abd El
Wed, sous la conduite de Abou Hammou II, reprirent possession de la ville. Tlemcen devait subsister et faire encore figure de cité royale jusqu’à l’aube du 16ème siècle.
En effet, après que les Espagnols aient eu mis fin au règne islamique en Andalousie en 1492, ils décidèrent
d’orienter leurs efforts pour conquérir les pays du Maghreb arabe. Sur ces entrefaites, l’État ziyanide fut au seuil de son écroulement final du fait de l’état de faiblesse très grave qu’il
atteignit. Les Espagnols, saisissant cette situation de crise, et suite à des plans de colonisation étudiés, multiplièrent leurs expéditions, et occupèrent successivement ses ports et arrières.
Puis dès l’année 1503, le danger espagnol contre l’Algérie devint une réalité insurmontable. Car juste après le conflit qui opposa les deux frères Abou Ziyan III El Messaoud, et Abou Hammou III
Bouklmoun concernant le règne de Tlemcen, les Espagnols saisirent cette aubaine pour s’emparer du port El Mersa El Kebir de la ville de Tlemcen en 1505. De ce fait, d’autres villes furent encore
conquise : Oran en 1509 ; Béjaia en 1510 ; Mostaganem en 1511…
À partir de ces dates douloureuses, plusieurs autres évènements fâcheux se produisirent. La situation s’envenimait
de plus en plus, notamment avec par la suite l’entremise des Turcs dans les affaires de la gouvernance à Tlemcen. Comme nous l’avons évoqué au début, au 16ème siècle, et plus exactement en
1554, l’émir Ziyanide El Hassan Abou Abdillah fut détrôné par le Turc Saleh Rays, à cause du penchant que cet émir affichait aux Espagnols.
Ainsi, Tlemcen fut immédiatement annexée à Alger, et cela avait mis un terme définitif au royaume des Banou Ziyan
qui résista pendant trois siècles et dix huit mois.
— Leçon à tirer de l’histoire de Tlemcen :
L’union et la solidarité intérieure. Au moment des faiblesses intérieures montantes et du guet de l’ennemi extérieur, la conduite qu’il fallut mettre en action consiste en vérité à consolider les rangs, unifier le mot d’ordre et minimiser au plus haut degré possible les querelles et litiges entre les membres de la même communauté. Car, tout comme le corps humain, quand il est faible et souffrant et que son système immunitaire ne peut plus veiller à sa défense, il sera une proie facile à dévorer par les microbes et diverses maladies 3 qui l’attaquent de l’extérieur !
En effet, à cette étape particulièrement, les Tlemceniens durent diriger toutes leurs forces intérieures à la
défense de leur royaume. S’y mobiliser et abandonner, surtout, les rancœurs et les désirs d’emprise et de règne était à juste titre la démarche la plus sage qu’on se devait de suivre. Mais,
hélas ! C’est bien le contraire de tout cela qui se déroula.
Dans le Noble Qour’ên, nombreux sont les versets qui invitent à l’union, et incitent à l’abandon des animosités et
autres ressentiments, facteurs efficaces de toute entreprise de destruction et de corruption. Parmi ces versets l’on trouve la glorieuse Parole d’Allâh -à Lui la Pureté- ﴾Et obéissez à Allâh et à Son Messager ; et ne vous disputez pas, sinon vous fléchirez et perdrez votre force. Et soyez patients, car Allâh est avec ceux qui sont
patients﴿ El Anfêl (Le Butin), V. 46. Et, le chemin vers la concrétisation de ce verset est un : ﴾Et attachez-vous tous, fermement, au pacte
d’Allâh ; et ne vous divisez pas. Et rappelez-vous le bienfait d’Allâh sur vous : lorsque vous étiez ennemis, c’est Lui qui réconcilia vos cœurs. Puis, par son bienfait vous êtes
devenus frères, de même que vous étiez au bord d’un abîme de Feu, c’est Lui qui vous en a sauvés. Ainsi Allâh vous montre Ses signes afin que vous soyez bien guidés﴿ Êl cImrân (La Famille
d’Imran), V. 103.
Puisse Allâh nous guider à suivre et appliquer ces sages Paroles divines ; certes, Il écoute et exauce les
prières !
Pureté et Gloire à Toi, ô Allâh ! J’atteste qu’il n’y a point d’adoré si ce n’est Toi. Je Te demande pardon,
et je me repens à Toi.
________
N.B. Le présent article tire principalement sa matière des deux ouvrages
suivants :
A. Tilemcên câsimat el maghrib el awsat, Dr Yahia Boueziz, éd., 2007, Ministère de la culture,
Algérie.
B. Tlemcen, collection « art et culture », éd., 1974, Ministère de l’Information,
Algérie.
Rem. Quelques adaptations ont été faites à certains niveaux (styles, translittération des noms propres, dates hégiriennes apposées aux dates grégoriennes).
1. Lire pour plus d’informations sur ce sujet mon article Abd El Hamid Ibn Badis, un imam de guidée,
de science et de réforme, paru au n° 18 de cette revue, ou aller sur le site de la revue www.majala-koraan.net
2. Consulter pour plus de connaissances sur le mérite de la science islamique ma traduction épître
sur la science islamique, son mérite et ses bienfaits, www.aoussat.com
3. Voir, dans l’article cité en haut sous le 1er titre, 2ème §, une brillante métaphore à ce propos
émise par l’imam, le cheikh Mohammed el Bachir el Ibrâhîmi -qu’Allâh lui accorde Sa vaste miséricorde