"Le méfait des « réformistes » de l’islam"
Dans ce texte limpide l’auteur du « Chemin de la Mecque » et de « L’Islam à la croisée des chemins », Muhammad Asad (né Leopold Weiss 1900-1992) explique en quoi consiste l’erreur des soi-disant « réformateurs » de l’Islam et le méfait de leur démarche qui se veut être une imitation servile de la civilisation occidentale sur le présent et l’avenir de la Nation musulmane.
[ L’erreur des « réformistes » ]
« L’erreur fondamentale que la plupart de nos soi-disant réformateurs ont commise depuis quelques décennies, écrit Muhammad Asad, consiste dans l’acceptation servile du point de vue occidental comme norme sacro-sainte du Bien et du Mal ; et dans le zèle à démontrer, a l’aide de tours de passe-passe intellectuels des plus grotesques et par une distorsion des faits historiques, que les objectifs et les idéaux de l’Islam correspondent en réalité a ce que les Occidentaux considèrent comme souhaitable ou responsable.
L’attitude qu’ont adoptée de pareils « réformistes » repose sur une justification continuelle des différences qui peuvent exister entre les conceptions islamiques et occidentales ; aussi, est-il tout naturel qu’ils essaient d’aplanir ces disparités en contraignant graduellement l’Islam a entrer dans le giron de la société occidentale. Il convient à la vérité de reconnaître que certains des réformateurs qui ont préconisé l’imitation de l’Occident n’étaient pas indifférents a l’Islam, plusieurs même l’ont aimé sentimentalement.
[ A l’origine du réformisme ]
Si nous passons en revue l’historique du mouvement d’européanisation dans le monde musulman, nous constatons que certains de ses leaders les plus déterminés furent réellement attachés a l’Islam. Leur résolution de copier l’Occident n’était qu’une expression de désespoir. Ils ont été les témoins du progrès matériel et de la puissance politique de l’Europe et de l’Amérique qu’ils ont opposée à l’état déplorable dans lequel vivotaient leurs propres sociétés ; ils se sont aperçus que les musulmans de nos jours manquaient de toute faculté et de tout sens créateur, tandis que l’Occident se caractérisait par le civisme et regorgeait de vitalité ; ils ont cru naïvement qu’habileté et énergie étaient forcément « justes » et ne pouvaient avoir une influence néfaste sur l’aspect spirituel. Cette croyance simpliste, liée à l’ignorance des causes réelles de l’abâtardissement musulman, leur a inspiré l’idée que le monde musulman surmonterait sa stagnation s’il adoptait certains des principes qui animent l’Occident et qui apparemment, le rendent dynamique.
[ Limites de la démarche réformiste ]
Leurs efforts ont été pendant quelque temps couronnés de succès, tout au moins pour ce qui a trait aux branches non religieuses du savoir : ils ont persuadé les musulmans d’établir écoles et collèges et de prendre une activité plus grande au progrès matériel. Mais la confiance quasi illimitée des réformistes dans les idées occidentales a fini par enregistrer en eux l’habitude de tenir la civilisation occidentale comme le prototype de tout développement positif, avec, comme corollaire la conviction subconsciente que les idéaux de l’Islam devaient plus ou moins cadrer avec ceux de la civilisation occidentale.
On leur doit un véritable mascaret de livres s’ingéniant a prouver que l’Islam, dans son essence, ne différait pas du Christianisme ; que le Prophète Muhammed était un libéral à la Gladstone [homme politique anglais (1809-1898), chef de file des libéraux] et que l’idéal de la société islamique devait nécessairement répondre aux normes en vigueur a Londres ou à Paris. Lorsqu’ils trouvaient dans la doctrine de l’Islam un précepte ne correspondant pas aux concepts occidentaux, ils essayèrent de le présenter comme une déformation de l’enseignement originel, ou bien comme une injection temporaire destinée à favoriser l’élévation des Arabes incultes de l’époque du Prophète et, dès lors, sans valeur en notre siècle de « lumière » ! Ils se sont en particulier attaqués à saper la structure entière de la Sunnah (enseignements du Prophète) sous le prétexte non fondé que les hadiths sont sujets a caution. Leur slogan « retour au Coran » doit se comprendre comme une altération arbitraire des préceptes coraniques à la lumière des notions occidentales.
[ Conclusion : méfaits du réformisme ]
Dans leur ensemble, ces activités « réformistes » eurent pour conséquence de subordonner l’éthique de l’Islam aux opinions prévalant en Europe ; elles augmentèrent encore le complexe d’infériorité qui consumait les musulmans et minèrent encore davantage leur foi dans la possibilité de reconstruction d’une société sur des bases véritablement islamiques. »
Source : Muhammad Asad, «Autonomie culturelle de l’islam»